Colloque international de Philosophie Penser la Commune, 8, 9 et 10 septembre 2021 Pavillon Carré de Baudoin XXe arrondissement, PARIS

https://penser-la-commune.fr/

Entrée libre mais une pré-inscription est obligatoire à l'adresse suivante : info@jf-dupeyron.fr 

Programme du colloque

 

MARDI 7 SEPTEMBRE
18h00 Concert par la chorale L'Ut en Choeur (chants de la Commune de Paris)

18h30 Jean-François Dupeyron (université de Bordeaux)

À  l’école de la Commune de Paris

 

MERCREDI 8 SEPTEMBRE
9h30-12h30 session Eugène Varlin14h-17h session Louise Michel
9h30 Discours d’ouverture

14h Martin Breaugh (université de Toronto, Canada)

Une démocratie sans titres ? 1871 à l’épreuve de la modernité politique

 

10h Ludivine Bantigny (université de Rouen)

La Commune comme pratique émancipatrice : un avenir post-capitaliste ?

14h45 Jordi Riba (université de Barcelone, Catalogne)

Penser la Commune comme événement ?

11h Quentin Deluermoz (université de Paris-Panthéon/Sorbonne)

Le radicalisme global dans la Commune

 

15h30 Francisco Naishtat (université de Buenos-Aires)

Walter Benjamin et la Commune

 

11h45 Louise Ferté (université de Lille)

L’absence de Quinet de la Commune de Paris : une révolution laïque manquée ?

 

 

 

JEUDI 9 SEPTEMBRE
9h30-12h30 session Maria Verdure14h-17h session Élisabeth Dmitrieff

9h30 Carolyn Eichner (université du Wisconsin-Milwaukee, USA)

La Pédagogie radicale de Louise Michel

14h Florence Gauthier (université de Paris-Diderot)

1871 : la culture politique populaire donne sa forme à la Commune de Paris

10h15 Bérengère Kolly et Jean-François Dupeyron (universités de Paris-Est-Créteil et de Bordeaux)

Fraternité et émancipation : amoureux et fratries de la Commune

14h45 Patrice Vermeren (université de Paris-Vincennes/Saint-Denis)

Le philosophe communeux

11h Mariam Shengelia (université de Paris-Est-Créteil)

L’émancipation des femmes pendant la Commune de Paris : une lecture libertaire

15h30 Jean Quétier (université de Strasbourg)

Traduire l'expérience communarde : Marx, Lissagaray et la social-démocratie allemande

11h45 Anouk Colombani (université de Paris-Vincennes/Saint-Denis)

La Commune comme expérience du travail

16h15 Roger Martelli (Fondation Gabriel Péri)

La guerre des mémoires est-elle encore d’actualité ?

    
VENDREDI 10 SEPTEMBRE
9h30-12h30 session Albert Theisz14h-17h session Émile Duval

9h30 Christophe Miqueu (université de Bordeaux)

Pour une laïcité plébéienne ?

14h Silvio Gallo (université de Campinas, Brésil)

Les anarchistes à la Commune : éducation et émancipation

10h15 Jean-Charles Buttier (université de Genève, Suisse)

James Guillaume et la Commune : un rendez-vous manqué avec l’histoire ?

 

15h Pierre Sauvêtre (université de Paris-Nanterre)

Communalistes : la pensée de la commune au XIXème siècle en France dans le socialisme et le républicanisme (1815-1870)

11h Xavier Riondet (université de Lorraine)

L’histoire des projets éducatifs de la Commune, un analyseur de l’histoire de l’appareil idéologique d’Etat français et des luttes éducatives (passées ou contemporaines) ?

 

15h45 Discours de clôture

 

11h45 Chinh Pham Quỳnh  (université de Hanoï, Vietnam)

La Commune de Paris et ses leçons pour la construction du socialisme au Vietnam

    

Argumentaire du colloque

« Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs[1]. »

 

À l’approche du 150ème anniversaire de la Commune de Paris, nous souhaitons engager un travail sur la pensée et sur l’action effective de la Commune. Il nous semble en effet que le poids de diverses légendes persiste à occulter tout ou partie du sens de cette séquence historique, comme le déplorait déjà un des premiers historiens de la Commune : le journaliste Lissagaray. Si, selon le mot célèbre de Marx, la République sociale de Paris (18 mars/28 mai 1871), constitua un véritable « sphinx mettant l’entendement bourgeois à si rude épreuve[2] », la réflexion sur les énigmes qu’elle posa fut fréquemment entravée par des formations idéologiques rivales (des légendes) faisant écran entre la Commune et notre compréhension de celle-ci : la légende noire versaillaise caricatura la Commune, la légende rouge du marxisme officiel la mythifia et la prolétarisa, la légende bleu-blanc-rouge du républicanisme d’ordre la rejeta vers le passé et en minimisa la portée, afin de magnifier l’œuvre du parlementarisme de la IIIe République.

En contrepoint, de nombreuses recherches ont abondé notre connaissance de la Commune, parmi lesquels on peut citer les travaux anciens des premiers historiens de la Commune et de Maurice Dommanget, ou les travaux plus récents de William Serman, Robert Tombs, Jacques Rougerie et Henri Lefebvre, sans oublier certaines publications contemporaines, telles que celles de Kristin Ross.

Parallèlement, un nouvel intérêt pour les récits et les analyses des protagonistes de l’époque a permis la découverte ou la redécouverte des écrits de Benoît Malon, Victorine Brocher, Gustave Lefrançais, Jules Andrieu, Jean Allemane, etc. De leur côté, les archives contiennent encore de multiples informations sur ce qui s’est passé avant la Commune, mais aussi pendant celle-ci dans les bataillons de la Garde Nationale, dans les clubs, dans les mairies d’arrondissement, dans la presse, etc. Leur exploration progressive permet d’affiner ou même parfois de révolutionner notre compréhension de la Commune.

Le 150ème anniversaire de la Commune doit être l’occasion de poursuivre ce travail d’élucidation, en lui ajoutant une dimension trop souvent négligée au profit des aspects militaires, événementiels et politiciens : la dimension philosophique de la compréhension de la Commune. Quelles problématisations et quelles conceptions de l’État, du commun, du social, du travail, de l’égalité, de la République, de l’enfance, de l’éducation, de l’art, de la culture, de la relation entre les femmes et les hommes, de l’émancipation, des échanges, de l’argent, de la propriété, de l’économie, de l’autorité, de l’étranger, de la laïcité (même si le mot "laïcité" n’était pas encore en usage), de la justice, de la morale, de la science, de la violence, de la vie et de la mort, etc., circulaient dans le mouvement et au sein des acteurs de la Commune ? Sur tous ces points, on ne peut plus se contenter de dire que la Commune avait lu surtout Proudhon mais n’avait pas pu lire Marx, puisque que le Manifeste du Parti Communiste, rédigé en 1848, n’avait toujours pas été traduit en français en 1871, tandis que la première traduction partielle du Capital ne parut qu’en 1872. On ne peut plus non plus se contenter de négliger la place de la Commune dans l’histoire des pensées républicaines, des pensées socialistes, des pensées libertaires, des conceptions syndicalistes révolutionnaires et, plus globalement, dans les débats et les élaborations conceptuelles propres au(x) mouvement(s) ouvrier (s) et révolutionnaire(s). Au regard des enjeux historiographiques et des enjeux contemporains, il est important de revenir, par une étude collective rigoureuse, au plus près de ce que pensaient et exprimaient les acteurs de la Commune.

Pour traiter ces différents aspects, nous suggérons de suivre principalement, mais pas exclusivement, trois axes croisés :

- a) la pensée politique et philosophique de la Commune, dans son rapport fondamental à la question de l’émancipation et/ou de la libération ;

- b) la politique scolaire et éducative de la Commune ;

-c) la place et le sens de la Commune dans l’évolution de la philosophie républicaine et sociale, notamment dans la perspective du lien entre laïcité et égalité.

 

a) La question de l’émancipation/libération

La formule fondatrice de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), créée à Londres en 1864, avait posé l’émancipation comme le cœur de l’action politique et économique des prolétaires : « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes[3] ». Plus précisément, la formule de l’émancipation désignait un processus circulaire, ou encore une forme de "cercle vertueux" de la souveraineté ouvrière : en un sens, l’émancipation était la finalité de l’action révolutionnaire (elle sera l’œuvre des travailleurs) ; mais, en un autre sens, elle était aussi la base de lancement et donc la condition même de sa propre réalisation (toute émancipation est autoémancipation, ou n’est pas).

Si la formule était clairement inspirée par Marx lui-même, son rival Bakounine n’en déniait pas la pertinence : « Que notre peuple commence par se libérer, et quand il sera libre, il voudra et saura lui-même tout apprendre[4]. » L’événement déclencheur de la Commune – le soulèvement populaire spontané du 18 mars 1871 – cumula ces deux sens, étant tout à la fois la résultante d’un long travail de maturation socialiste et républicaine au sein du mouvement ouvrier, et la base qui ouvrait sur de multiples possibles : « une révolution rend possibles un certain nombre d’événements[5] », remarqua à ce sujet Henri Lefebvre.

Il nous semble prometteur, d’un point de vue heuristique, de passer les thématiques de la philosophie de la Commune au crible de cette question centrale de l’émancipation, dans toutes ses dimensions (politique, sociale, économique, culturelle, éducative, etc.). Les pensées de l’émancipation, ainsi que celles de la libération, seront ici sollicitées pour expliciter la pensée de la Commune.

 

b) La politique scolaire et éducative de la Commune

La philosophie de l’éducation a elle aussi beaucoup de grain à moudre dans l’étude de la pensée de la Commune en matière d’éducation et de scolarisation. Le paradigme dominant de l’histoire scolaire française oublie en effet systématiquement d’intégrer l’école de la Commune dans son champ, alors que la première laïcisation des écoles publiques fut bien l’œuvre de la République de Paris. De même, celle-ci, dans les conditions matérielles difficiles que lui imposa le second siège de Paris, entama la construction d’une école socialiste inspirée par la pensée pédagogique des divers socialismes du XIXe siècle. La notion d’éducation intégrale fut le fer de lance de cette approche d’une éducation nouvelle, qui voulait « qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrire avec passion, avec talent, sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi[6] ».

L’étude de cette école de la Commune doit d’ailleurs permettre de réhabiliter une séquence historique méconnue, reliant les projets pédagogiques ouvriers dès les années 1830 au projet syndical d’école rouge avant le premier conflit mondial, en passant par l’école nouvelle élaborée par la Commune et son second délégué à l’Enseignement : Édouard Vaillant.

 

c) La place et le sens de la Commune dans l’évolution de la philosophie républicaine et sociale

L’histoire française de la philosophie républicaine s’est longtemps résumée à une réflexion sur une conception formelle de la République, et s’est focalisée sur l’idée que la tradition républicaine trouvait sa principale, voire son unique origine, dans une culture politique nationale amputée de ses liens avec l’émancipation sociale et rabattue sur la seule question de la forme des institutions et du mode légal d’accès au pouvoir. La Commune, selon ce paradigme, n’aurait été qu’une exagération coupable de l’idée républicaine, une fièvre obsidionale parisienne noyant finalement la République dans le flot funeste des passions populaires, autrement dit « une bonne chose mal faite[7] », selon le mot du républicain d’ordre Victor Hugo. De fait, elle n’a jamais vraiment eu sa place dans l’histoire républicaine française.

Plus récemment, certaines approches de l’histoire de l’idée républicaine ont montré que le républicanisme moderne ne se réduisait pas à l’idée républicaine française et à la question de l’autogouvernement par représentation au sein de l’État de droit. Bien au contraire, l’influence anglo-saxonne, et plus largement européenne, des divers républicanismes, l’héritage de l’humanisme civique de la Renaissance italienne et des "petites" Républiques de la péninsule (Lucques, Florence, Sienne, Gênes, Venise), et l’existence d’une pensée radicale et sociale bien avant la Révolution française, ont contribué à faire de l’idée de République un concept bien plus riche et complexe. Les socialismes, surtout après les massacres de Juin 1848, avaient pour leur part approfondi d’autres dimensions de l’idée de République, en centrant celle-ci sur le Travail et non sur le Politique. La question sociale allait par ailleurs prendre une ampleur telle dans le siècle de la révolution industrielle, que le républicanisme, comme courant politique, ne pourrait plus l’éviter, et que l’idée de République sociale allait devenir incontournable. Ainsi, si la Commune fut incontestablement un soulèvement républicain et la première expérience de séparation de l’Église et de l’État, en quoi constitue-t-elle un moment d’évolution théorique et pratique central dans l’histoire du républicanisme démocratique et social ?

 

Pour explorer ces trois axes, la philosophie pourra bien évidemment travailler en complémentarité avec d’autres disciplines, notamment l’histoire, la sociologie, les sciences de l’éducation, la science politique, l’économie et la littérature (liste non limitative). Le colloque, tout en affirmant son fort ancrage philosophique, sera ouvert à une fructueuse pluridisciplinarité.


 

[1] Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, Maspéro, 1976, p. 14.

[2] Karl Marx, La guerre civile en France, 1871, Paris, Éditions sociales, 1968, p. 59.

[3] AIT, Statuts provisoires, rédigés par Karl Marx et adoptés en septembre 1864 à Londres.

[4] Mikhaïl Bakounine, « La science et le peuple », op. cit.

[5] Henri Lefebvre, La proclamation de la Commune [1965], Paris, La Fabrique, 2018, p. 41.

[6] Henri Bellenger, « L’enseignement professionnel et intégral », Le Vengeur, 7 mai 1871.

[7] Victor Hugo, Le Rappel, 6 mars 1872 (il s’agit de la publication d’une lettre datée du 28 avril 1871).